Production Théâtre Le Public - Christophe Sermet
Vendredi, jour de liberté
Hugo Claus
Georges Vermeersch rentre chez lui. Il vient de purger une peine de prison pour inceste. Pendant ce temps, sa femme a entrepris une relation avec le voisin...
Hugo Claus, l'enfant terrible de la littérature flamande, malmène l'ordre et la morale, et dénonce les hypocrisies d'une société frappée de cécité. Quelque chose d'irréparable et de honteux s'est passé, l'ordre des choses a été irrémédiablement bousculé et l'onde de choc continuera à se faire sentir longtemps. Alors, reste une seule voie : parler. Les mots comme seule chance. Les cris, le rire, le grotesque et les mots... Le théâtre est là pour ça.
RADIOSCOPIE D'UN INCESTE
Philip Tirard
La Libre Belgique, 14/11/2005
Interprétation tendue et soignée au Public.
Hugo Claus, la plus importante figure des lettres flamandes de la deuxième moitié du XXe siècle, a décidément une voix bien à lui, âpre, ironique, lucide et incisive. Et qui ne vieillit pas-ou très bien, c'est selon. On joue pourtant peu en Communauté française les pièces de cet artiste belge polymorphe, qui est aussi peintre, cinéaste, metteur en scène, poète et romancier. «Cela tient à des problèmes d'édition et de diffusion», explique Alain Van Crugten, traducteur du célèbre roman «Le Chagrin des Belges» et de son théâtre complet à L'Âge d'Homme. Cela rend d'autant plus frappante sa présence à deux reprises sur les affiches cette saison (au Public et au Méridien). Pour sa première mise en scène, Christophe Sermet-qui fut aussi acteur et assistant de Frédéric Dussenne-a jeté son dévolu sur «Vendredi, jour de liberté», pièce créée jadis en langue française au Théâtre national dans une adaptation de Jean Sigrid et une mise en scène de Jo Dua. Ce drame tendu sur le thème de l'inceste entre un père et sa fille offre aux comédiens une puissante matière à jouer, entre naturalisme et paroxysmes mystiques. Le metteur en scène-qui a préféré l'adaptation française de Vincent Marnix, plus «rugueuse», dit-il, que celle de Sigrid-la met soigneusement en évidence dans un spectacle de deux heures, sans entracte, qui ne lâche jamais le spectateur.
Comédiens engagés
S'il connaît ses tragiques grecs sur le bout des doigts, Claus n'a pas situé son intrigue entre rois, princesses et demi-dieux, mais dans la Flandre provinciale, catholique, ouvrière et bien-pensante des années 1960. L'ouverture de la pièce cueille Georges Vermeersch à sa sortie de prison. Son retour au logis surprend tout le monde car il a été libéré pour bonne conduite, deux mois avant terme.
Bernard Sens a les épaules recroquevillées et le souffle court des anciens détenus, l'oeil perpétuellement aux aguets d'un quelconque surveillant. Sanglé dans une chemise et un pantalon étriqués-Vermeersch a pris du poids derrière les barreaux-, le comédien habite son rôle de bout en bout, avec une vérité et une générosité imparables. Et pour son retour à la vie civile, il a de sacrés enjeux à affronter.
Sa femme, qu'il a refusé de voir pendant toute la durée de sa détention, est tombée amoureuse de son meilleur ami et a eu un enfant de lui. Sa fille Christine, dont la dénonciation l'a envoyé en prison, a viré hippie et s'adonne à l'amour libre. On verra que leur relation est, pour le moins, ambiguë. Muriel Jacobs joue l'épouse bafouée et infidèle avec l'engagement vibrant qu'on lui connaît, même si cette veine réaliste et ce personnage à la fois maternel et matérialiste ne rencontrent pas pleinement son potentiel poétique. Ses brusques éruptions d'émotion cueillent pourtant chaque fois le spectateur.
La faute et le rachat
Yannick Renier complète brillamment ce triangle pathétique où chacun porte sa faute et une quête de rédemption tantôt sourde, tantôt hystérique. C'est que le dramaturge n'a pas épargné ses personnages: il leur fait parcourir la totalité de leur chemin de croix, toutes ténèbres et lumières bues. Par endroits, c'est, très littéralement, beau comme l'antique.
Reste le coeur du sinistre mystère de la pièce: l'inceste. Hélène De Reymaeker incarne celle par qui le scandale arrive. Elle et Bernard Sens se sortent avec doigté mais pertinence des scènes risquées où émerge cet impossible et pourtant réel désir entre le père et la fille. La fonction du théâtre étant de nommer l'innommable, Claus a affronté la question à sa manière, de front et sans fard, mais aussi sans complaisance.
Au-delà d'un théâtre-vérité apte à évoquer des réalités que même la télé du même nom n'ose pas aborder, «Vendredi» est une riche fable spiritualiste sur la faute et le rachat, la liberté et le pardon.
Texte Hugo Claus
Traduction Marnix Vincent
Acteurs Hélène De Reymaeker, Muriel Jacobs, Yannick Renier
Mise en scène Christophe Sermet
Assistanat à la mise en scène Hélène De Reymaeker
Scénographie Marco Vinals Bassols
Eclairages Yves Cape
Costumes Natacha Belova
Maquillages / coiffures Zaza da Fonseca
Sons additionnels Stéphane Oertli
Photos de plateau Cassandre Sturbois
Direction technique Gérard Raquet
Création 2 novembre 2005, Théâtre Le Public, Bruxelles
Une coproduction Théâtre Le Public, Bruxelles, et Christophe Sermet, avec l'aide de la Comission d'Aide aux Projets (CAP) et du Centre des Arts Scéniques (CAS).
43 représentations du 2 novembre au 31 décembre 2005
Théâtre Le Public, Bruxelles (Saint-Josse-ten-Noode) - Belgique
13 représentations du 20 avril au 6 mai 2006
Théâtre de l'Ancre, Charleroi - Belgique